Lorsque je me rends chez mon marchand de couleurs, j’en ressors avec toutes sortes d’objets : des toiles sur châssis, des
pinceaux, des tubes en plastique ou en métal, des flacons de taille et de forme différentes, des pots.
A l’atelier, les toiles deviennent support, les pinceaux outils et la peinture
matière. Du travail de la main sur ces éléments naissent les œuvres dans lesquelles ils sont partie prenante.
Restent les tubes que je pince, que je frotte, que je tords afin d’en faire sortir la matière à peindre ; que je malmène
donc. Restent les flacons que je manipule différemment mais que j’empoigne nerveusement, que je renverse, que je tords aussi et qui finissent
invariablement vides ou presque de la matière à peindre.
Restent également les bouchons, les couvercles. Ce que l’on met au rebut une fois la fonction accomplie. Pourtant, je ne
parviens pas à me séparer de ces objets. Car ils ont une histoire à raconter. Ce sont eux qui jalonnent au plus près mon travail de peintre. Ils connaissent mes enthousiasmes, ma fougue,
les euphories, les essais, les aboutissements, les doutes, les pleurs . Ils se sont transformés pour cela, se sont pliés, tachés, vidés...Ils ont donné d’eux-mêmes quoi.
L’idée
m’est donc venue afin qu’ils ne finissent pas dans la poubelle rose pâle juste là de leur faire changer de statut, de les faire passer de celui de contenant à celui de matériau. De les substituer
à leur contenu.
« Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme » proclamait Lavoisier.
Effectuer ce changement de statut permet aux tubes, flacons, pots, couvercles, bouchon d’entrer plus directement dans l’œuvre, sans se noyer
dans les complexes cycles de la matière, sans se décomposer, redevenir molécules puis atomes d’une matière nouvelle qui ne serait peut-être plus matière à peindre, dans le vaste monde où se
trouve plongé l’atelier. Construire ainsi des surfaces sensibles ayant un impact visuel et sémantique assumé.
En attendant de trouver leur place sur une surface accueillante, ces éléments sommeillent dans une vieille bombonne retrouvée dans le
grenier de la maison et qui semblait si accueillante. Mais ils jonchent également le sol ou s’entassent
dans des sacs en plastique. Parfois je les sors simplement de leur contenant à eux afin de les observer, de cerner ce qu’ils ont à raconter. Jusqu’à la fois suivante. Et petit à petit se
construit au-dedans une histoire nouvelle.
Effectuer ce changement de statut permet de garder l’intimité des secrets de cet atelier, de maintenir un lien fort.